Encore une de ces nuits de lune noire qui ne lui inspiraient rien d’autre que la mélancolie. Dans les rues sombres de Bristol, Alyce marchait sans réellement se préoccuper de sa direction. Dans le casque de son Ipod, le titre Storm de Björk l’enivrait complètement, univers parallèle et mystique dans lequel son esprit dérivait paisiblement. Le grondement des moteurs de voiture, son pas sur le trottoir, les chiens qui aboyaient, rien n’existait d’autres que cette musique ensorcelante. Parfois, elle fermait les yeux, juste pour mieux profiter du son et de la fraicheur du vent qui caressait ses cheveux noirs.

Sa marche aveugle l’avait amenée à proximité du lycée. Le temps d’un instant, l’adolescente redescendit sur terre pour se demander « une autre intrusion nocturne ? ». Ce ne serait pas la première fois qu’elle jouerait à pénétrer dans l’établissement une fois qu’il était fermé à la masse de lycéens, mais c’était peut justement pour cela que l’intérêt n’était plus au rendez-vous. On se lasse de tout, malheureusement, et particulièrement elle.

Björk se taisait. Alyce s’autorisa une deuxième écoute de ce titre qu’elle adorait et s’introduisit sans grande conviction dans l’enceinte de la cour. Il y avait peu qu’elle avait repéré cette fenêtre impossible à fermer correctement dans sa salle de philosophie, il y avait peut-être une chance qu’en poussant assez fort, elle puisse passer par là. Il fallut qu’elle contourne le bâtiment, parcourant les allées à peine éclairées, pour rencontrer l’issue qu’elle allait exploiter. Comme prévu, le loquet tordu se démit de son encoche à la première pression, ouvrant à la jeune fille une salle plongée dans les ténèbres qui sentait encore le produit nettoyant. Au moins, la femme de ménage était passée.

La londonienne faillit déchirer ses collants en escaladant la fenêtre, mais elle réussit à entrer dans le lycée sans casse. L’islandaise mystique cessait pour la deuxième fois son chant de sirène, Alyce tira donc son Ipod de la poche de son short pour faire glisser le curseur jusqu’à Kittie : My own summer. C’était vieux, mais toujours aussi bon à écouter. Peut-être aussi qu’une fois enveloppée dans l’ambiance de cette chanson, le suspens de cette intrusion clandestine se créait de lui-même.

L’adolescence avança à tâtons pour trouver la porte. Connaitre la pièce était un avantage, ce qui ne l’avait pas empêché de se cogner le genou contre une chaise. Elle étouffa un juron en se mordant la lèvre inférieur, immobile, prête à déguerpir si jamais quelqu’un venait à entrer, mais rien. Le cœur dansant encore frénétiquement dans sa poitrine, elle rejoint le couloir, éclairé seulement par les ampoules identifiant les sorties de secours. Et maintenant ? Alyce était prise d’un élan de démotivation : toute seule, ça n’était même pas drôle en fait. Alors qu’elle allait faire demi-tour pour finalement poursuivre sa virée nocturne, Kittie entama Paperdoll et une silhouette sembla se mouvoir dans les ténèbres, jusqu’à l’escalier de service. S’il s’agissait de quelqu’un du personnel, il aurait certainement allumé la lumière.

La curiosité rétorquant à son ennui, la jeune fille suivit l’intruse à distance raisonnable. Le toit ? Pourquoi le toit ? Un instant, elle hésita à poursuivre : si c’était un élève qui cherchait à se suicider en s’écrasant symboliquement au pied du lycée, on risquait de l’accuser de meurtre si on la rattachait au lieu des faits... Oh et puis après tout, elle aussi était déjà venu là ; pas pour sauter, juste pour se griser de l’excitation que ça procurait. Presque comme un « fuck » à l’administration. Alyce termina donc de grimper les marches et au moment où elle s’appuyait sur la poignée métallique de la porte, l’autre personne se tourna vers elle en lui demandant de s’identifier.

Un sourire machinal étira faiblement les lèvres de l’adolescente : ce n’était que Lena. Elle s’approcha en abaissant son casque autour de son cou et répondit en gardant les yeux rivés sur son Ipod afin de l'éteindre. La lumière de l’écran projetait des reflets blancs sur son visage.

- Ça va, t'inquiète, c’est moi. Qu’est-ce que tu fais là ?

Une envie soudaine. Alyce tira de sa poche arrière son briquet et son paquet de clope à moitié écrasé. Avant de s’en allumer une, elle proposa :

- T’en veux ?