A moitié coincé dans la lucarne des toilettes des garçons, Duncan pesta contre l'idiot qui poussait sur son postérieur de toutes ses forces pour le faire passer quitte à lui briser le bassin. Ses jambes qui pendaient lamentablement à l'extérieur au-dessus d'une pile de caisses branlantes qu'ils avaient entassé pour l'occasion, et étaient pour l'heure occupées à tenter de viser le ventre de l'abruti trop pressé.

- Mais arrête de pousser bordel ! Tu vas m'arracher une couille !

Il prit appui sur le bord de la fenêtre du mieux qu'il put pour se tracter centimètre par centimètre jusqu'à, enfin, basculer à l'intérieur de la pièce. Son pantalon était tombé à l'extérieur dans l'opération et il s'était fracassé le nez contre le carrelage mais au moins il était dans la place. C'est avec peine qu'il se remit debout, marmonnant des insultes à l'adresse de ses camarades à l'extérieur qui avaient l'air de trouver très drôle la perte de sa dignité. C'est comme ça qu'on le remerciait de leur ouvrir le passage ?? Bon, il fallait avouer que c'était un peu la lose sur les bords, mais il saurait se rattraper. Les mecs cool savaient toujours comment faire.

L’adolescent grimpa sur un lavabo, ses baskets glissant sur l’émail encore humide, jusqu’à rejoindre le trou ridiculement petit par lequel il était passé. Sa tête ébouriffée se présenta par l’embrasure pour fusiller ses camarades du regard avant de tendre la main et d’effectuer des petits gestes vifs pour qu’on lui rende son bien.

- Ah-ah c’est trop drôle ! Maintenant rendez-moi mon froc ou je vais pas vous ouvrir. Je défie quiconque d’entre vous de réussir aussi à passer par là sans un régime.

Profitant de sa vue en plongée il jeta un œil dans le décolleté d’Alyce avant d’arracher son froc aux mains qui le tendaient. Il disparut aussitôt à l’intérieur du bâtiment pour se couvrir les fesses avant de sortir dans le couloir désert. Les établissements scolaires de nuit, ça avait toujours ce petit côté film d’horreur qui vous filait les chocottes, comme si un fantôme allait surgir ou les pupitres se mettre à voler à travers les fenêtres. On y entendait que le tic-tac éternel des horloges, quelques grincements mais surtout un vide énorme comme si toute vie avait été aspirée. Un endroit dont on voulait troubler la paix tant celle-ci semblait anormale… le calme c’était glauque, ça filait le cafard.

Dinkie se glissa jusqu’au bureau où le concierge gardait les clés du bâtiment. Elles étaient toutes étiquetées et soigneusement punaisées sur un panneau de liège. Il récupéra celles qui l’intéressait, griffonna une moustache de mauvais goût sur la photo de la fille du pauvre homme et ressortit de la pièce pour rejoindre l’entrée. En un cliquetis la porte vu ouverte, laissant libre cours aux facéties nocturnes de notre bande d’amis. Il effectua une courbette en guise d’invitation avant d’emprunter la voix d’un vieux majordome, très mal imitée soit dit en passant :

- Je vous souhaite la bienvenue dans notre humble établissement… n’oubliez pas d’essuyer vos chaussures.

Ce soir, Alyce avait enfilé une veste en jean usée par-dessus un bustier noir offrant un joli décolleté sur sa poitrine blanche. Les rafales de vent faisaient danser son keffieh et sa chevelure clairsemée de mèches colorées. Écartant une mèche de ses yeux bleus, elle regardait sans l’ombre d’un sourire un Duncan pestant qu’on attentait à son intimité. Lorsque, au comble du ridicule, il perdit son pantalon du mauvais coté de la lucarne, l’adolescente leva les yeux au ciel d’un air exaspéré. En s’apercevant qu’il louchait sur sa poitrine, elle le transperça de ses prunelles glacées et attendit qu’il disparaisse avec son froc pour murmurer un « quel idiot » que personne ne put entendre.

Il fallut encore patienter un petit moment que leur camarade trouve les clefs nécessaires à l’ouverture de la porte, et enfin, le lycée leur ouvrait sa gueule béante pour les avaler comme une vieille maison de l’horreur. La courbette ridicule de Duncan fit Alyce pousser un petit soupir d’exaspération : ce mec en faisait réellement trop quand il s’y mettait. Le grand hall était encore plongé dans une pénombre à peine brisée par les rayons de lune qui filtrait à travers les vitres lorsque la porte se refermait. On ne distinguait rien au-delà de quelques mètres, sinon d’épaisses ténèbres qui transformaient ce lieu familier en terrain de jeu presque sinistre. Le cœur de la jeune fille accéléra un peu, un frisson secoua son échine… finalement, elle ne regrettait pas d’être venue.

Du coin de l’œil, elle vit Ryan être emmené à l’écart par leur portier, soit. Elle fit un pas, le bruit de ses chaussures contre le carrelage résonna légèrement, diffusant dans le noir un échos presque effrayant. Enfin, un sourire étira ses lèvres maquillées d’un rouge intense qui contrastait avec sa pâleur, elle ouvrit son sac à dos et en sortit deux bouteilles de manzanita qu’elle fit légèrement s’entrechoquer l’une contre l’autre :

- Et bien… j’envisage difficilement une fête sans rien pour l’arroser.

Elle tendit l’une des bouteilles à qui voudrait bien la prendre et ouvrit la seconde pour s’en accorder une gorgée. Rien que l’idée de l’alcool qui allait se mêler à son sang pour la porter pendant ses facéties, suscita un brin d’euphorie anticipée. Alyce rejeta en arrière sa crinière brune, le bruit de ses multiples bracelets accompagnant le moindre de ses gestes, et ferma sa source jouvence. Les autres n’avaient qu’à d’abord faire tourner la première. Négligeant ce qu’on pourrait lui reprocher, elle tira des poches de sa veste en jean un paquet de clope à moitié vide et un briquet dont elle se servit pour griller le bout de son cancer en tube. Le rond incandescent projetait sur son visage des reflets orangés qui lui donneraient presque des airs de citrouille.

Elle réfléchissait, que pourraient-ils bien faire dans les parages ? Si possible quelque chose de voyant, bien entendu. Ses pensées glissèrent vers le gymnase, sans doute vaste étendue déserte de ténèbres à l’heure actuelle. Une idée germa, fatigante peut-être, mais le résultat pourrait être extrêmement drôle le lendemain matin. Soufflant un nuage de fumée, en se grattant machinalement le coin du nez à l’aide de son pouce, l’adolescente proposa :

- Et si on déplaçait les tables des salles où on aura cours demain jusque dans le gymnase ? Et on laisserait un mot sur le tableau pour... "s'excuser de ce désagrément". Je crois que ça me donnerait peut-être envie de me lever.

Elle aspira une autre bouffée de sa cigarette. Une main joua dans ses cheveux pour les remettre en place, pour la énième fois, mais elle n’était jamais satisfaite de leur tenu su son crâne. Dans la pénombre, ses yeux bleus fixaient tout particulièrement Duncan et Ryan.